Les premières notes de violon apaisent graduellement le brouhaha des conversations pour introduire le premier tableau de l’opéra Turandot. La mise en scène est grandiose et le spectacle profondément émouvant. Pour l’occasion, elle a chaussé ses superbes souliers de soirée d’une originalité et d’un chic irrésistibles. À l’entracte, on parle de culture, de celle qui s’écrit avec une majuscule et de celle qui s’écrit sans.
Dans nos campagnes prolifère justement une forme de culture dont l’expression exige autant de soins, d’attention, de préparatifs et de savoir-faire que la mise au point d’un grand spectacle. Je parle bien entendu de la culture maraîchère. Pour savoir un peu mieux de quoi je parle, j’ai d’ailleurs entrepris d’y cultiver un bout de terrain, effectuant du coup une forme de retour en enfance dans cette Gaspésie aux étés qui durent le temps d’une pluie et dont la terre nourricière est pour le moins capricieuse. Les légumes y succombent parfois au gel dès la fin août.
Après une mise à niveau sommaire des quelques connaissances agricoles que j’en ai gardées, j’entreprends donc d’aménager un potager expérimental dans un champ en jachère que je commence à dénuder… à la pelle. Ayant davantage manié le clavier que les outils manuels au cours des 30 dernières années, l’opération se veut ambitieuse, voire périlleuse.
Retour aux sources
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. J’ignore si la gloire viendra un jour, mais je peux vous dire que les périls, eux, étaient bien au rendez-vous. J’ai mis des jours à arracher un à un ces épais et lourds morceaux de terre tissée de foin faisant un demi-mètre sur un mètre, pour dégagé une superficie totale de près de 200 mètres carrés. Au passage, j’ai cassé deux brouettes et épargné in extremis quelques manches de pelle dont les craquements continus me rappelaient à chaque pelletée, la lourdeur de la charge que je soulevais.
J’imaginais mon grand-père maternel en train de défricher à la main ce bout de terre forestière sur lequel il a finalement établi sa famille durant les années 30. Ma tâche était somme toute beaucoup plus facile que l’éreintant essouchage auquel il s’est astreint à force de bras durant des années. Dans mon cas, il s’agissait d’un loisir de week-end et je pouvais toujours faire le plein dans une maison offrant tout le confort moderne. Mon aïeul, lui, travaillait sans relâche d’une noirceur à l’autre, vivant en forêt des semaines durant, dormant sous une tente ou dans une cabane faite de bois rond sans eau courante ni électricité. C’est ce qu’on appelait à l’époque, la vie de défricheur.
Vive la modernité!
D’un rythme à l’autre
L’aménagement d’un potager sans recours à la mécanisation se fait à un rythme qui est à des années-lumière de la frénésie urbaine moderne. Dans les champs, le temps file pourtant à la même vitesse que sur le boulevard St-Laurent à Montréal, mais il se fait beaucoup plus discret, souvent, il passe même incognito. Le paradoxe, c’est qu’il finit toujours aussi par manquer, mais ça nous stresse beaucoup moins.
Une fois le défrichage terminé, je préparerai soigneusement le sol pour créer un environnement propice à la croissance de mes futurs amis végétaux. C’est un peu comme planter le décor et aménager la scène en prévision de la venue des chanteurs. Il faut organiser l’espace pour que tous y soient à leur aise et puissent donner leur maximum.
Lectures supplémentaires, visites répétées chez les fournisseurs de matériel agricole, labourage de la terre et ajout de plusieurs tonnes de composte… puis arrive finalement le moment de déterminer l’ordre dans lequel on va semer les semis, où on va les placer et en quelle compagnie? Dans la promiscuité, certains végétaux se concurrencent et poussent difficilement alors que d’autres se protègent mutuellement des prédateurs et prospèrent merveilleusement bien en bonne compagnie. Mieux vaut donc favoriser les mariages heureux. Il faut aussi prévoir l’alternance des cultures, pour s’assurer que ce terreau si laborieusement préparé conserve un maximum de fertilité pour les années à venir.
Le jour J.
Après plusieurs semaines de planification, de préparatifs et de dur labeur, je mets finalement semis et semences en terre, espérant qu’elle puisse leur donner vie et leur assurer son soutien jusqu’à maturité. J’ai bien pris soin de préciser qu’il s’agissait d’un projet expérimental, donc aucun résultat n’est garanti. Il incombe maintenant à mère Nature de faire son bout de chemin.
Après avoir suffisamment joué à l’apprenti-chef d’orchestre de potager, je prends un peu de répit en écoutant Turandot sur ma chaîne stéréo, me laissant emporter par les sublimes envolées lyriques et les ingénieuses variations musicales de ce chef d’œuvre.
Pour la suite, on verra bien….
Que c’est rafraîchissant ce retour à la terre qui nous fait réaliser que le privilège d’assister à de grandes soirées culturelles repose d’abord sur la bonne culture de nos champs.
Bravo! pour ce retour à l’essentiel: le rythme de la terre et des saisons … qui nous remet aussi à notre heure et à notre place justes.
Cultiver son jardin potager ouvre les portes d’autres jardins intérieurs…
Belle récoltes en perspective. A suivre, donc!
Amicalement
Christine
Quel beau parallèle! Est-ce pour cela que je chante toujours en jardinant? L’importance de toute chose ou mode de vie est toujours une question de point de vue. Garder l’esprit ouvert permet de découvrir des merveilles!!
C’est bien vrai que La nature semble faire ressortir les notes les plus joyeuses de notre intérieur….